Matisse Vrignaud

Réalisée en collaboration avec Studio AA à l’occasion de la réouverture de la tour LU à Nantes, cette installation sonore générative accompagne l’exposition permanente retraçant les quatre vies du Lieu Unique : l’usine, le squat, la réhabilitation, l’institution culturelle. Véritable emblème architectural nantais, la tour LU nous semblait mériter une attention toute particulière, une réinterprétation contemporaine de son histoire, pour la faire exister dans notre imaginaire culturel actuel. Cette exposition, d’une durée de quatre ans, est actuellement ouverte au public.

Dessinés par le studio de design Studio AA, et installés au centre de la tour LU, les deux luminaires reprennent la symbolique du lustre et se laissent découvrir tout au long du parcours de l’escalier. Construits de matériaux faisant écho au passé industriel de la tour, ils soulignent la verticalité de l’édifice et le transforment en espace de flânerie et de contemplation. Intégrant à la fois des bandes de lumière et des haut- parleurs, ces lustres constituent en son intérieur « la voix et le visage » de la tour.

La tour, davantage verticale qu’horizontale, implique un placement d’enceinte « en élévation », ce qui limite la sensation de déplacement des sources, l’oreille humaine étant plus sensible aux mouvements horizontaux que verticaux. Afin de contourner cette difficulté, chaque palier forme une cage acoustique dans laquelle les sons réverbèrent différemment, ce qui souligne l’idée de distanciation, et donc de hauteur.

Les enceintes sont inclinées vers l’extérieur pour deux raisons :
– de manière à limiter le nombre de premières réflexions sur les paliers, permettant un son plus diffus et plus agréable pour la lecture. De fait, la tour est scindée en deux parties : l’exposition, et l’espace d’écoute — dans les escaliers.
– de manière à assurer une bonne restitution des paires stéréo sur les plateformes des escaliers.

Les mouvements des sources doivent conserver à la fois un caractère d’inédit et une consistance. Pour remédier au problème, j’ai développé un placement de microphones me permettant d’enregistrer des objets par séquences, en évitant l’apparition de « creux » de son entre les micros (baisse de volume), et donc entre les enceintes. Chacune des pistes de ces enregistrements quadriphoniques est ensuite placée sur les huit enceintes selon le principe de spatialisation « transversal » expliqué plus bas.

La composition, en accompagnant la visite, reprend des anecdotes de la vie du bâtiment, en évitant cependant toute figuration, les utilisant davantage comme des souvenirs en filigrane. Celle-ci est divisée en quatre parties. Elles racontent chacune une période différente de la vie du lieu, décrites plus bas. Semblable à la voix de l’édifice, cette composition générative, « vivante », toujours en évolution, se recompose d’elle-même indéfiniment et dialogue avec les sons de la vie extérieure : des voitures au piétons, en passant par les trains et les ambulances, ceux-ci forment une couche supplémentaire de la musique qui rend musicales leurs manifestations. Cette méthode de composition fait écho à la manière dont nous nous approprions l’Histoire, non comme une chose figée, mais encore active et malléable dans nos esprits, sujette au point de vue et aux expériences de chacun.

Ciel Ouvert
Ancrage historique : le squat
Des nappes sonores fugitives parcourent les lustres dans des trajectoires sinueuses. Le soleil, la pluie, les oiseaux entrent dans ce bâtiment autrefois à ciel ouvert.

Les Cires
Ancrage historique : l’usine
Des musiques populaires européennes du début du XXe siècle et enregistrées sur cylindres de cire sont déformées, découpées et recomposées.

Sève
Ancrage historique : la réhabilitation
Quelques sons montent et descendent par répétition chacun des lustres, construisant l’espace, dans un temps qui semble s’être arrêté.

Sémaphore
Ancrage historique : l’institution
Une harmonie de plusieurs instruments se construit progressivement, s’intensifie, et se module, pour finalement disparaitre lentement.

Principes de composition

❶ Diversification timbrale
Les instruments sont remplacés régulièrement. Chaque nouvelle écoute offre des caractéristiques timbrales différentes.

❷ Modulation
La matière sonore est constamment altérée selon des paramètres différents. Ceux-ci évoluent dans une marge prédéfinie.

❸ Phasing
Des boucles de durées inégales se superposent, produisent des silences et des convergences dans la composition.

Principes de spatialisation

① Horizontal
Mouvements sur les paires stéréo permettant de travailler les étages comme des espaces sonores indépendants.

② Vertical
Sons courts, répétés sur chaque étage, donnant la sensation de hauteur par le changement de volume et de réverbération engendré.

③ Transversal
Des séquences à quatre pistes se déplacent dans la tour et font entendre des sons plus articulés, plus intentionnels.

Ici et Maintenant veut faire office de manifeste, comme un exemple d’objet nous permettant de moduler notre rapport au temps et à l’espace, de reconstruire l’imaginaire de nos histoires. C'est aussi une musique qui va au long de la vie. Que voulons-nous voir et entendre des espaces et des temps ? Une verticalité, une horizontalité, une expansion, une compression, un morcèlement ou au contraire, une unité ? Une rapidité, une lenteur, une accélération, un ralentissement ? Pour toute ces caractéristiques, un bâtiment se raconte à soi-même et par chacun, au travers du parcours que chacun choisira.